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Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia s’initia à l’escalade en 1953, à l’âge de 14 ans, comme membre du Club de Fauconnerie de la Californie du Sud et dressait des aigles et des faucons à chasser. L’un des adultes qui encadraient les jeunes de ce club, Don Prentice, leur apprit à descendre en rappel dans les falaises pour atteindre les aires des rapaces. Yvon et ses copains se passionnèrent pour ce sport et se mirent à emprunter les trains de marchandises pour se rendre à l’ouest de la vallée de San Fernando, afin de pratiquer sur les falaises de Stony Point, où ils y apprirent finalement à grimper.

Pendant l’hiver, Chouinard allait s’entraîner le week-end à Stony Point et à l’automne et au printemps à Tahquitz Rock au-dessus de Palm Springs. C’est là qu’il rencontra de jeunes grimpeurs du Sierra Club comme T.M. Herbert, Royal Robbins et Tom Frost. Puis, ils émigrèrent de Taquitz au Yosemite pour gravir de plus grandes parois.

Les seuls pitons que l’on trouvait à l’époque étaient fabriqués dans un acier tendre ; ils étaient destinés à n’être utilisés qu’une fois et à rester en place. Mais dans le Yosemite, les ascensions de plusieurs jours nécessitaient des centaines de placements. Après avoir rencontré John Salathé, un grimpeur suisse qui avait déjà fabriqué des pitons en acier plus dur, à partir d’essieux de vieux modèles de Ford A, Chouinard décida de fabriquer son propre matériel, des pitons réutilisables. En 1957, il acheta dans une brocante une forge à charbon, une enclume de 60 kg, quelques tenailles et des marteaux et apprit à forger par lui-même.

Il réalisa ses premiers pitons à partir d’une lame récupérée sur une moissonneuse et s’empressa de les utiliser pour sa première ascension de la cheminée Lost Arrow et la face nord de Sentinel Rock au Yosmite avec T.M. Herbert.

Puis, il se construisit un petit atelier dans l’arrière-cour de chez ses parents à Burbank, près de Los Angeles. Comme la plupart de ses outils étaient transportables, il pouvait donc partir surfer tout le long de la côte californienne de Big Sur à San Diego, avec tout son matériel dans la voiture. Après une session de surf, il portait son enclume sur la plage et découpait des pitons angulaires avec un ciseau à froid et un marteau avant de repartir sur une autre plage.

Au cours des années suivantes, il passa ses hivers à forger des pitons et d’avril à juillet, il partait dans les parois du Yosemite, puis en plein cœur de l’été, allait grimper sur de plus hauts sommets, au Wyoming, au Canada ou dans les Alpes pour revenir au Yosemite à l’automne jusqu’à ce que la neige tombe. Il gagnait sa vie en vendant le matériel qu’il fabriquait, depuis le coffre de sa voiture. Cela ne rapportait pas grand-chose. Pendant des semaines, à cette époque, il vécut avec moins d’un dollar par jour. Un été, avant de partir dans les Rocheuses, il acheta deux cartons de boîtes de nourriture pour chat un peu cabossées dans un magasin de produits déclassés à San Fransisco. En plus de la nourriture pour chat, il s’alimenta avec du porridge, des pommes de terre, des écureuils et des porcs-épics.

Au Yosemite, Chouinard et ses amis étaient surnommés les Valley Cong. Lorsque les deux semaines de camping autorisé étaient dépassées, ils échappaient aux gardes du parc, en se cachant dans les blocs au-dessus du Camp 4. Ils étaient particulièrement fiers du fait que grimper en rocher ou en cascade de glace n’avait aucune valeur économique pour la société, ils se sentaient rebelles. Leurs héros étaient Muir, Thoreau, Emerson, Gaston Rebuffat, Ricardo Cassin et Herman Buhl.

Chouinard Equipment
Très vite, la demande pour son matériel devint tellement importante qu’il lui fut impossible de continuer à le fabriquer à la main ; il commença à se servir d’outils, de matrices et de machines de plus en plus techniques. C’est ainsi qu’en 1965, il s’associa avec Tom Frost, un grimpeur et ingénieur en aéronautique, qui possédait un sens aigu de la conception et de l’esthétique. Pendant tout le temps de leur collaboration, ils redessinèrent et améliorèrent à peu près tout le matériel d’escalade existant pour le rendre plus solide, plus léger, plus simple et plus fonctionnel. Ils revenaient de chaque ascension en montagne avec de nouvelles idées pour perfectionner le matériel existant.

C'est l'aviateur Antoine de Saint Exupéry qui inspira leurs principes fondateurs :

« N'avez-vous jamais pensé, non seulement au sujet des avions, mais sur tout ce que l'homme construit, que tout effort industriel de l'homme, tous ses calculs, toutes ses nuits de veille sur les épures, n'aboutissent, comme signes visibles, qu'à la seule simplicité ?

Comme s'il fallait l'expérience de plusieurs générations pour dégager peu à peu la courbe d'une colonne, d'une carène ou d'un fuselage d'avion jusqu'à leur rendre la pureté élémentaire de la courbe d'un sein ou d'une épaule. Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher, quand il ne reste plus qu'une forme épanouie, enfin dégagée de sa gangue. »

(Terre des Hommes)

Dans les années 1970, Chouinard Equipment était devenu le premier fournisseur de matériel d’escalade des États-Unis, mais l’entreprise commençait à se sentir également responsable face à l’environnement, car le matériel qui sortait de ses ateliers endommageait le rocher. En effet, l'escalade devenant de plus en plus populaire avait tendance à se concentrer sur des voies célèbres et des sites connus comme le canyon El Dorado près de Boulder, les Shawangunks dans l'état de New York et la vallée du Yosemite. Le martèlement répété des pitons en acier dur, pendant leur placement et leur extraction dans les frêles fissures fragiles, abîmait sérieusement la roche. Après une ascension du Nose au El Capitan, dégoûtés de la dégradation de la roche, encore intacte quelques étés auparavant, Chouinard et Frost décidèrent de cesser progressivement la fabrication de pitons. Ce fut la première grande décision environnementale qu’ils prirent au fil des années. C’était une prise de risque importante, car les pitons étaient la pierre angulaire de leur entreprise, mais ils se devaient de le faire.

Heureusement, il existait une alternative aux pitons : des coinceurs en aluminium qui pouvaient être glissés dans et hors des fissures au lieu d'être martelés. Chouinard Equipment se mit à les proposer dans son catalogue de 1972.

L'éditorial de ce catalogue, rédigé par les propriétaires de Chouinard Equipment, insistait sur les conséquences néfastes de l'utilisation des pitons. Il y avait aussi un essai de quatorze pages sur l'escalade « propre », écrit par un grimpeur du Sierra Club, Doug Robinson sur la manière de se servir des coinceurs, qui commençait par un paragraphe très fort :

« Il existe un mot pour cela et ce mot est “propre”. Ne grimper qu'avec des coinceurs à cames ou des bicoins comme protection est de l'escalade propre. Propre parce que le rocher n'est pas altéré par le passage du grimpeur. Propre parce que rien n'est martelé dans le rocher et rien n'en est extrait, car le martèlement est un processus qui endommage la roche et gâche l'expérience naturelle du grimpeur suivant. Propre parce que les protections placées par le grimpeur ne laissent que peu de traces de son ascension. L'escalade propre est une manière de grimper, qui garde la roche inchangée ; une étape vers une escalade “bio” pour l'homme naturel.»

Quelques mois après la sortie du catalogue, la vente des pitons était en chute libre ; les coinceurs se vendaient plus vite qu’ils ne pouvaient être fabriqués. Dans les hangars de tôle de Chouinard Equipment, le battement régulier du marteau-pilon fit place au grincement strident du calibre de perçage.

Des vêtements pour grimpeurs
À la fin des années soixante, les hommes ne portaient pas de vêtements aux couleurs vives. Le « sportswear pour les hommes actifs » consistait en un sweat-shirt et un pantalon de base gris et le modèle standard pour l'escalade au Yosemite était un pantalon en coton beige coupé et une chemise blanche, achetés dans des magasins d'occasion. C'est en 1970, au cours d'un voyage d'escalade en hiver, en Écosse, que Chouinard acheta un maillot traditionnel de rugby, pensant qu’il ferait un bon vêtement pour l'escalade. Pour résister aux rigueurs du jeu de rugby, il était solide et possédait surtout un col qui évitait que le porte-matériel ne cisaille le cou. Il était bleu avec deux rayures rouges et une rayure jaune au centre. De retour aux États-Unis, Chouinard le porta constamment pour grimper et ses amis lui demandèrent où ils pouvaient s'en procurer.

Nous en commandâmes donc quelques-uns au fabricant Umbro en Angleterre et ils se vendirent comme des petits pains. Comme il était impossible de les tenir en stock, nous les fîmes également venir de Nouvelle-Zélande et d'Argentine. D’autres entreprises nous emboîtèrent le pas et nous réalisâmes que nous venions de provoquer un mini raz-de-marée dans la mode de l’outdoor. Nous venions de comprendre également que les vêtements pouvaient étayer les maigres bénéfices réalisés par la vente du matériel d’escalade et en 1972, nous vendions des anoraks de pluie enduits de polyuréthane, des sacs de bivouac fabriqués en Écosse, des gants et des moufles d’Autriche en laine bouillie et des bonnets « schizo » réversibles, tricotés à la main, venant de Boulder.

Tandis que nous fabriquions de plus en plus de vêtements, il nous fallait un nom pour les représenter. Chouinard fut la première idée. Nous bénéficions déjà d'une bonne image ; pourquoi recommencer depuis le départ ? Pourtant, il y avait deux raisons pour lesquelles nous ne voulions pas utiliser ce nom. Premièrement, parce que nous ne voulions pas diluer l'image de Chouinard Equipment qui était un fabricant de matériel d'escalade et deuxièmement, nous ne désirions pas que nos vêtements ne soient associés qu’au monde de l'escalade.

Pour la plupart des gens, surtout à cette époque-là, Patagonia était un nom comme Tombouctou ou Shangri-la – un point éloigné, intéressant, mais qui n'existait pas réellement sur une carte. Patagonia évoque, comme nous l'avons une fois écrit dans l'introduction de l'un de nos catalogues, « une vision romantique de glaciers qui descendent en cascade dans les fjords, de pics hérissés, balayés par les vents, de gauchos et de condors. » Patagonia est un nom qui nous définit bien et qui peut être prononcé dans toutes les langues.

Capilene® et Synchilla® : une histoire de superposition
À l'époque où la communauté entière d'alpinistes ne s'habillait qu'avec une superposition de coton, de laine et de duvet qui s'imprégnait d'humidité, nous cherchions l’inspiration dans d’autres genres de vêtements pour une meilleure protection ! Nous décidâmes qu'une matière que les pêcheurs de l'Atlantique Nord portaient déjà, un pull en fourrure polaire, serait idéale pour la montagne, un tissu qui garde la chaleur sans absorber l'humidité.

Mais nous avions besoin de trouver des échantillons de ce tissu afin de tester si cette idée était valable, et ce ne fut pas facile. Finalement en 1976, Malinda Chouinard muée par une intuition décida de se rendre au marché aux tissus en gros de Los Angeles. Elle tomba sur ce que nous cherchions, un stock des filatures Malden qui venait presque de faire faillite à la suite de l'effondrement du marché de la fausse fourrure et qui bradait ses tissus. Nous avons réalisé quelques modèles que nous sommes allés tester en montagne, dans de réelles conditions. Il y avait quelques points à revoir: ils étaient un peu trop épais et encombrants et ne ressemblaient à rien (la fibre boulochait), mais ils étaient particulièrement chauds surtout portés sous une veste de pluie. Ils restaient chauds même mouillés, séchaient en quelques minutes et permettaient de réduire le nombre de couches de vêtements que nous avions d'habitude de porter.

Ce n'est pas la panacée de porter un vêtement chaud qui sèche rapidement sur des sous-vêtements en coton qui absorbent la transpiration et qui gèlent instantanément. C'est pourquoi en 1980 nous avons mis au point des sous-vêtements chauds en polypropylène, une fibre synthétique hydrophobe et ultra légère. À l'époque, elle était employée dans des produits industriels comme les cordes marines qui avaient la propriété de flotter. Sa première utilisation comme matière textile l'avait été en doublure non tissée de couches jetables pour bébé.

En utilisant les propriétés de ces nouveaux sous-vêtements comme la base d'un nouveau système, nous fûmes la première entreprise à enseigner aux pratiquants d'activités de plein air, à travers de textes dans nos catalogues, le concept de la superposition. Cette approche impliquait de porter un sous-vêtement contre la peau pour évacuer la transpiration, un vêtement intermédiaire pour la chaleur et une veste extérieure pour se protéger du vent et de la pluie.

Il ne fallut pas longtemps avant de voir beaucoup moins de coton et de laine en montagne, remplacés par des pulls bleu clair et beige qui boulochaient, portés sur des sous-vêtements en polypropylène à rayures.

Mais le polypropylène tout comme la fourrure polaire posait quelques problèmes.

Ils avaient une température de fusion très basse et les sous-vêtements de nos clients fondaient dans les séchoirs des pressings des centres commerciaux qui étaient souvent bien plus chauds que ceux des particuliers. D'autre part, le polypropylène étant hydrophobe et de ce fait, rejetant l'humidité, se lavait difficilement et gardait toutes les odeurs. Il s'avéra également que ses propriétés dispersantes d'humidité n'étaient pas inhérentes à la fibre, mais le résultat d'un traitement huileux appliqué au moment où le tissu était filé et tissé et, après une vingtaine de lavages, il disparaissait. Bien que la fourrure polaire, tout comme le polypropylène connut un succès immédiat, et nous n'avions pas encore de concurrence réelle, nous nous employâmes sérieusement, dès le départ, à améliorer la qualité et à résoudre les problèmes posés.

Perfectionner notre fourrure polaire se fit graduellement. Nous travaillâmes en étroite collaboration avec Malden pour mettre au point tout d'abord une polaire souple, un peu comme de la laine bouillie, mais qui boulochait beaucoup moins, puis finalement le Synchilla®, un tissu double-face encore plus souple qui ne boulochait plus du tout, cette fois. Avec le Synchilla, nous avons appris une leçon importante. Bien que les filatures Malden avaient des facilités d'accès aux capitaux et purent réaliser de nouvelles matières, le Synchilla n'aurait jamais vu le jour si nous n'avions pas nous-mêmes joué le rôle principal dans le processus de recherche et de développement. À partir de ce moment, nous avons commencé à faire des investissements conséquents dans la recherche et le design. Notre laboratoire et notre département de développement de tissus, en particulier, étaient enviés par toute l'industrie du plein air. Les filatures étaient désireuses de travailler avec nous, car ils savaient que si Patagonia prenait part à un projet, les tissus développés seraient toujours mieux que le reste.

Pourtant, le remplacement du polypropylène par une autre fibre, la même année où nous avons sorti le Synchilla, n’était pas le fruit d'un travail mené conjointement avec une filature, mais fut totalement imprévu.

En 1984, en arpentant les allées d'un salon de vêtements de sport à Chicago, Chouinard assista une démonstration de nettoyage de taches d'herbe sur des maillots de football en polyester. Les fibres synthétiques comme le polypropylène ou le polyester sont fabriquées à partir de résines qui sont extrudées dans une matrice pour leur donner une forme ronde et fine. Les vêtements tissés dans ces matières sont très souples, mais difficiles à nettoyer, car ces fibres n'aiment ni l'eau, ni la lessive.

Milliken, l’entreprise qui fabriquait ces maillots de football avait mis au point un processus pour altérer de façon permanente la surface des fibres afin qu'elles deviennent hydrophiles, donc aimant l'eau ! Elles dispersaient l’humidité vers l’extérieur et le traitement était inaltérable. Chouinard pensa que ce tissu serait idéal pour fabriquer des sous-vêtements. Le polyester possède une température de fusion beaucoup plus élevée, ne posant par conséquent pas de problème dans un séchoir à linge commercial.

À l’automne 1985, nous avons changé notre ligne entière de sous-vêtements en polypropylène pour ceux en polyester traité Capilene®. Ce fut une grosse prise de risque, aussi importante que celle de l’introduction des coinceurs en 1972. Cette même saison, nous avons également sorti la nouvelle polaire en Synchilla : au total, le polypropylène et la polaire représentaient 70 % de nos ventes. Notre noyau dur de clients a vite compris les avantages du Capilene et du Synchilla et nos ventes ont monté en flèche.

Les difficultés de la croissance
Au début des années 1980, nous avons accompli un autre grand changement. À l'époque où tous les vêtements conçus pour des activités de plein air, se déclinaient en beige, vert forêt ou pour les plus colorés en rouille, Patagonia innova avec les couleurs vives. Nous sortîmes le bleu cobalt, l'argenté, le rouge vermillon, l'orange, le bleu turquoise et le marron clair. Les vêtements Patagonia toujours assez bruts sont passés d'un aspect fade à celui d'outrageux.

L'énorme enthousiasme pour les couleurs vives et la demande croissante pour des tissus techniques comme le Synchilla a complètement changé notre destin. La marque Patagonia elle-même est devenue une mode comme l'avaient été autrefois nos maillots de rugby, et notre popularité s'étendit bien au-delà du monde du plein air. Bien que nous continuions à concentrer nos efforts de vente et à consacrer de l'espace dans notre catalogue à expliquer les mérites techniques de la superposition des vêtements aux sportifs les plus engagés, les pièces qui se vendaient le mieux étaient les moins techniques : nos shorts de bain Baggies ainsi que des vestes d’aviateur doublées en Synchilla.

Nous avons alors commencé à croître très rapidement ; nous fûmes répertoriés par le magazine Inc. comme la société privée à la croissance la plus rapide à cette époque aux Etats-Unis. Mais durant l’été 1991, nous heurtâmes le mur. Nos ventes régressèrent brutalement et la récession toucha même nos banquiers qui coupèrent nos crédits. Pour réduire nos emprunts, nous devions restreindre radicalement nos dépenses et nous débarrasser de nos invendus. Nous avons dû nous séparer de 20 % de notre force de travail, la plupart étant des amis ou des amis d’amis. Nous avons presque perdu notre indépendance comme entreprise. Nous en avons tiré une leçon essentielle. Depuis, nous sommes devenus beaucoup plus modérés dans notre croissance – et nos emprunts.

Libre de Surfer
Durant ces années de croissance rapide et après le choc des licenciements de 1991, nous avions réussi à conserver d'une façon générale les valeurs qui étaient les nôtres. Nous étions entourés d'amis qui s'habillaient comme bon leur semblait. Pendant la pause du déjeuner, les gens continuaient à aller courir, surfer ou jouer au volley-ball sur l'aire de jeu située à l'arrière des bâtiments de l'entreprise. L'entreprise aidait à financer des séjours au ski ou pour grimper, et d'autres sorties étaient organisées de façon informelle par des groupes qui partaient pour les Sierras le vendredi soir et rentraient chez eux, un peu groggy, mais heureux, juste à temps pour revenir travailler le lundi.

Depuis 1984, nous n’avons plus aucun bureau privé. Cet aménagement intérieur peut quelquefois être source de distraction, mais favorise la communication. Cette année-là, nous avons installé une cafétéria qui, encore aujourd’hui, sert de la nourriture saine principalement végétarienne et où les salariés peuvent se retrouver tout au long de la journée. Puis, nous ouvrîmes, sur l'insistance de Malinda, une halte-garderie d'entreprise, le Great Pacific Child Development Center. À cette époque, il n'y en avait que 150 à travers tout le pays (aujourd'hui, elles sont plus de 3000.) La présence des enfants qui jouaient dans la cour ou qui déjeunaient avec leur mère ou leur père à la cafétéria, aidait à garder une atmosphère plus familiale que celle d'une entreprise habituelle. Nous continuons toujours de proposer aux jeunes parents, mais également à nos autres employés, des horaires à la carte et le partage de poste.

Nous n'avons jamais eu à nous soumettre à une culture d'entreprise traditionnelle avec ses préjugés qui inhibent la créativité. Ce que nous avons fait, la plupart du temps, était simplement de nous en tenir à nos propres valeurs et traditions.

Les premières prises de position en faveur de l’environnement
Patagonia était encore une assez petite entreprise lorsqu’elle commença à s’engager financièrement et à consacrer du temps à la crise environnementale manifeste et croissante. Nous avions pu observer ce qui se passait dans les coins les plus reculés de la terre : la pollution et la déforestation galopantes, la disparition lente et finalement plus rapide que nous ne pensions des poissons et de la vie sauvage. Nous avons observé ce qui se passait à notre porte : des séquoias vieux de mille ans qui succombaient à la pollution atmosphérique de Los Angeles, la disparition de la vie dans les laisses côtières et dans les forêts de varech, ainsi que l’urbanisation galopante qui envahit les côtes et l'arrière-pays.

Nous avons appris en lisant et pu observer par nous-mêmes au cours de nos voyages – le réchauffement climatique, la destruction des forêts tropicales, la diminution des nappes phréatiques, l'appauvrissement des terres arables, les pluies acides, l’envasement de fleuves et de rivières par les barrages. Au même moment, nous avons pris conscience que de difficiles batailles menées par de petites associations déterminées pour sauvegarder un peu de cette vie sauvage donnaient des résultats significatifs.

Notre première leçon nous a été donnée, ici, au début des années 1970. Plusieurs d'entre nous étions allés à la réunion de la mairie pour protester contre l'éventuelle destruction de l’un de nos surfs breaks. Nous savions vaguement qu'autrefois, le Ventura était peuplé de nombreuses truites arc-en-ciel. Puis dans les années quarante, deux barrages furent érigés et l’eau du fleuve fut détournée. En dehors des pluies d'hiver, la seule eau restante à l'embouchure était celle de l'eau déversée par la station d'épuration. Au cours de cette réunion de la mairie, divers experts ont affirmé que le fleuve était mort et que le canaliser n'aurait aucune incidence sur la vie des oiseaux et autres faunes sauvages qui subsistait encore, ni sur notre surf break.

Tout cela semblait sans issue quand Mark Capelli, un jeune biologiste de 25 ans nous fit une présentation de diapositives prises le long du fleuve – des oiseaux vivant dans les saules, de rats musqués, de serpents d'eau, d'anguilles qui venaient pondre dans l'estuaire. Puis, il montra une photo de smolt de truite arc-en-ciel : oui, quelques dizaines de truites arc-en-ciel venaient encore frayer dans notre fleuve « mort ».

Le projet de développement fut abandonné. Nous laissâmes à Mark, un espace dans nos bureaux, une boîte aux lettres et un peu d'argent de temps en temps, pour l'aider à se battre pour le Ventura. Au fur et à mesure que des projets de développement apparaissaient, « les Amis du fleuve Ventura » s'employaient à les faire échouer, à rendre l'eau plus propre et à accroître son débit. La vie sauvage reprenait ses droits et de plus en plus de truites venaient frayer.

Mark nous a appris deux choses : le militantisme de terrain pouvait faire la différence et un habitat naturel dégradé pouvait être restauré à force de volonté. Inspirés par son engagement, nous avons commencé à donner régulièrement des subventions à de petites associations qui s'appliquent à préserver et restaurer les habitats naturels plutôt qu'à de grosses O.N.G. avec un personnel et des frais généraux trop importants et trop liées aux entreprises. En 1986 nous nous sommes engagés à reverser chaque année 10 % de nos bénéfices, somme que nous avons augmentée en la transformant en 1 % de nos ventes ou 10 % de nos bénéfices avant impôt selon le montant le plus élevé. Depuis nous avons toujours tenu cet engagement.

En 1988 nous avons conduit notre première campagne environnementale nationale, en soutenant un projet alternatif de désurbanisation de la vallée du Yosemite. Chaque année depuis, nous choisissons une cause environnementale pour laquelle nous prenons activement position. C’est ainsi que nous nous sommes prononcés très tôt contre la mondialisation des marchés qui remet en cause les valeurs sociales et environnementales. Nous nous sommes engagés pour la destruction de barrages qui ont une utilité marginale ou qui envasent les fleuves afin de protéger la vie aquatique. Nous avons soutenu des projets de protection d’espaces sauvages pour préserver des écosystèmes entiers et l’élaboration de corridors biologiques pour relier les habitats isolés. Nous organisons, tous les dix-huit mois, une conférence appelée «Outils pour les militants de terrain » afin d’apporter aux associations avec lesquelles nous travaillons, certaines compétences en matière de communication, de marketing et de gestion.

Très tôt, nous avons également pris des mesures pour réduire notre impact environnemental au niveau de l’entreprise : depuis le milieu des années quatre-vingt, nos catalogues sont imprimés sur papier recyclé. Nous avons travaillé avec les filatures Malden pour développer un polyester recyclé que nous utilisons pour notre polaire Synchilla.

Notre centre de distribution basée à Reno, dans le Nevada aux États-Unis, construit en 1996 réalise 60 % d’économie d’énergie grâce à des réflecteurs de lumière solaire et d’un chauffage radiant ; tout est réalisé en matériaux recyclés, des barres à béton à la moquette jusqu’aux séparations entre les toilettes. Nous avons modernisé tous nos systèmes d’éclairage de nos anciens magasins et ceux que nous construisons aujourd’hui sont de plus en plus respectueux de l’environnement. Nous avons fait évaluer l’impact environnemental de nos teintures et éliminé tous ceux dans la ligne qui demandaient l’utilisation de métaux toxiques et de sulfures. Mais plus important encore, depuis les années quatre-vingt-dix, la responsabilité environnementale est devenue un élément clé dans le travail de chacun de nos employés.

Passer au coton biologique
Quand nous avons réalisé notre premier audit environnemental indépendant sur les quatre principales fibres que nous utilisons le plus, nous pensions que le nylon et le polyester produits à base de pétrole seraient les plus consommateurs d’énergie et les plus polluants. Bien sûr, ils le sont, mais pas autant que le coton.

La fibre « naturelle » avec laquelle nous fabriquions la majeure partie de notre ligne sportswear a été reconnue comme celle qui avait l’impact le plus désastreux sur l’environnement. Nous avons appris que 25% des tous les pesticides chimiques utilisés pour l’agriculture dans le monde, étaient (et sont encore) destinés à la seule culture du coton ; ce qui avait (et a) pour conséquence une pollution effrayante des sols et de l’eau et même si la toxicité sur la santé des travailleurs des champs est évidente, elle est malheureusement difficile à prouver.

Le coton était la pire des fibres et pourtant il n’aurait pas dû le devenir. Les paysans l’ont cultivé biologiquement sans apport de pesticides pendant des siècles. Ce ne fut qu’après la deuxième Guerre, que les dérivés de gaz neurotoxiques ont été commercialisés pour l’agriculture et ont commencé à servir de désherbants chimiques.

Nous avons d’abord fait quelques expériences. Au début, nous ne fabriquions que des T-shirts en coton biologique. Mais après quelques voyages dans la vallée de San Joaquim où nous avons pu constater la contamination des étangs par le sélénium et observer les paysages lunaires complètement détruits par la culture du coton, nous nous sommes posé la question essentielle : comment pouvions-nous continuer à fabriquer des produits avec une fibre qui détériorait la terre à ce point ?

À l’automne 1994, nous décidâmes que dès 1996, 100 % de notre gamme sportswear en coton serait fabriquée avec du coton biologique.

Nous avions dix-huit mois pour faire changer 66 produits en coton biologique et il ne nous en restait que quatre pour produire le tissu. Nous nous sommes d’abord rendu compte qu’il n’y avait tout simplement pas suffisamment de coton biologique commercialisable chez les courtiers en coton. Nous devions nous adresser directement aux agriculteurs qui venaient de se convertir à l’agriculture biologique, puis il fallut contacter les égreneurs et les filatures pour les convaincre de nettoyer leurs usines avant de traiter une quantité de coton qui pouvait leur paraître négligeable. Nous devions aussi discuter avec le certificateur et prouver qu’il était possible de tracer le produit depuis la balle de coton d’origine.

Nous avons réussi. Depuis 1996, tous les vêtements Patagonia fabriqués en coton, le sont avec du coton biologique.

Les prochaines étapes
Nous continuons nos recherches pour des tissus encore plus respectueux de l’environnement. Nous utilisons plus de chanvre et pour certains vêtements, il est associé avec du polyester recyclé. Récemment l’un de nos fournisseurs a trouvé un procédé pour obtenir du polyester recyclé issu d’autres sources que des bouteilles plastiques – polyester que nous utilisons aujourd’hui pour fabriquer nos vêtements les plus vendus. Plus important encore à nos yeux, nos vêtements sont maintenant potentiellement recyclables. À l’avenir, il sera possible à nos clients de nous renvoyer leur veste en polyester que nous transformerons de nouveau en une nouvelle fibre ou autres formes plastiques.

Trente ans après la création de notre marque, nous continuons à fabriquer les meilleurs vêtements de plein air. Nos innovations n’ont jamais été aussi importantes que dans les cinq dernières années. Nous avons mis au point des vêtements totalement ergonomiques et des sous-vêtements Capilene® à tissage variable, qui par leur texture dispersent encore plus efficacement la transpiration et laissent une totale liberté de mouvement.

Les vêtements chauds Regulator® sont une innovation technique très importante par rapport au Synchilla. Ils sont plus légers, plus chauds, dispersent plus rapidement la transpiration et sont beaucoup plus compressibles dans un sac à dos. Cela va de pair avec une nouvelle génération de vestes remarquables – que l’on appelle hardshells, softshells ou hybrides – qui sont également plus légères, plus extensibles et plus souples que les précédentes.

En fait, les matières ont tellement évolué – dans la direction de la fonction minimaliste que préconisait Saint Exupéry – que les méthodes d’assemblage qui utilisaient seulement fil et aiguille sont dépassées. Depuis le printemps 2005, les assemblages sans fil aussi bien pour les vestes harshells que softshells permettent d’en réduire l’épaisseur, d’optimiser les coupes et surtout d’améliorer la résistance à l’humidité.

Durant ces trente dernières années, nous avons commis beaucoup d’erreurs, mais nous n’avons jamais perdu de vue notre chemin. Bien que nous ayons créé Patagonia pour nous libérer des contraintes d’une entreprise de matériel d’escalade, c’est pourtant précisément ces contraintes qui nous ont permis d’avancer et nous ont aidés à prospérer. Nous continuons à pratiquer l’escalade et le surf, des activités qui comportent des risques, qui ont une âme et qui invitent à la réflexion. Nous préférons les voyages informels avec les amis – en pratiquant ce que nous aimons faire — plutôt que des évènements couverts par les médias. Il nous est impossible de mettre sur le marché en connaissance de cause un mauvais produit et nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les dommages que nous tous infligeons à notre seule et unique maison, notre planète.

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